Artiste majeur du XVè siècle italien (le quatrocento), Piero della Francesca était à la fois artisan et théoricien à une époque où l’art et la science étaient profondément liées ; deux générations avant Léonard de Vinci. Grand maître de la fresque il a appliqué avec beaucoup de rigueur et beaucoup de subtilité les règles de la perspective qui constituaient une grande question de l’époque en matière picturale. Malgré sa grande renommée de son vivant, il a été très vite oublié au profit de la « manière moderne ». Ce n’est qu’au XIX et surtout au XXè que l’auteur des grandes fresques d’Arezzo a retrouvé une première place chez les historiens d’art.
Piero Della Francesca est né à Borgo San Sepolcro dans la province d’Arezzo vers 1412 (date contestée).
Fils de Benedetto di Piero de’ Franceschi et de Romana di Renzo ( sa mère ne s’appelait donc pas Francesca).
Dans son célèbre ouvrage « Les Vies » (1568) qui fonde l’histoire de l’art, Vasari affirme qu’il est devenu aveugle à 60 ans et a vécu jusqu’à 86 ans mais le récit que donne Vasari de la vie de Piero et qui a longtemps servi de biographie officielle est largement contesté. Pour expliquer son patronyme « Della Francesca », Vasari avait élaboré le mythe d’un enfant sans père avec pour seule famille une mère qui aurait inspiré la célèbre Vierge au vêtement entrouvert de la Madonna del Parto.
On trouve les premières mentions de l’activité de Piero della Francesca à Borgo en 1431/32. Il s’agit de paiements pour des peintures d’étendards et d’armoiries.
Il travaille avec Antonio d’Anghiari pendant dix ans environ dans un atelier à Borgo ce qui n’empèche pas un pasage à Perouze (1437-38) où il collabore avec Domenico Veneziano à une grande fresque.
L’artiste arrive à Florence en 1439 et retouve Veneziano avec qui il travaille pendant huit ans environ. A cette époque, les fondateurs de la Renaissance en peinture Bruneleschi et Donatello sont déjà au faîte de leur gloire.
Les premières peintures signées de sa main seule et datées sont de 1450.
A partir de 1450, la carrière de Piero se développe dans les principales cours du nord de l’Italie. A Ferrare les fresques qu’il a exécutées dans le Castello Estense et l’église de Saint Agostino sont perdues. Pour Sigismondo Pandolfo Malatesta il peint des fresques à Rimini dans le mausolée, rénové pour ce mécène dans le style Renaissance par Leon Battista Alberti, et plus tard le portrait de profil de Malatesta conservé au Louvre. Il reprend en 1452, après la mort du florentin Lorenzo di Bicci, le monumental travail de décoration de l’abside de l’église de San Francesco d’Arezzo. Le cycle de la Vraie Croix, vraisemblablement terminé après son retour de Rome en 1465 constitue une oeuvre majeure de Piero della Francesca.
Autour des années 1458 / 1460 Piero della Francesca est appelé à Rome par plusieurs papes ce qui témoigne de sa notorièté, alors bien établie. Le Pape Pie II Piccolomini notamment l’invite comme « un des artistes les plus doués de son temps » pour décorer ses appartements. Ces fresques seront détruites moins d’un demi-siècle plus tard pour faire place à celles de Raphaël.
Durant les années soixante et soixante-dix Piero est en relation avec la fastueuse cour d’Urbino et le duc de Montefeltro Federigo, pour lequel il a peint quelques unes de ses œuvres les plus célèbres: le diptyque avec des portraits des ducs, et Frédéric sa femme Battista Sforza (Florence, Galerie des Offices), la Flagellation du Christ (Urbino, la National Gallery de l’Ombrie) et l’Annonciation de l’église de San Bernardino (Milan, Pinacoteca di Brera).
Dans les oeuvres de la maturité, on doit mentionner la Madone d’Urbino et la nativité conservée à Londres qui révèlent un intérêt pour la peinture flamande. Au cours de ses dernières années Piero se consacre à l’écriture d’ouvrages théoriques sur la perspective et les mathématiques.
Devenu aveugle, Piero della Francesca est décédé en Octobre 1492 à Borgo Sansepolcro.
Piero dela Francesca est considéré comme celui des peintres italiens du XVè siècle qui a proposé la meilleure synthèse entre les notions de perspective et d’espace propres à la peinture italienne et la luminosité de la peinture flamande avec ses représentations réalistes.
Quelques œuvres :
Le Baptême du Christ– Vers 1450 peint à la Tempera
167x116cm
Exposé à Londres, National Gallery Il s’agit de la partie centrale d’un triptyque encadrée de deux panneaux latéraux surmontés d’une Annonciation en deux parties. A noter l’organisation en plans successifs
Saint Jérôme pénitent
En 1450 – Huile et tempera sur panneau
51x38cm
Exposé à Berlin (Allemagne) au Staatliche Museen
Le piètre état de conservation de l’œuvre n’a permis que récemment de l’attribuer à Piero Della Francesca. Restauration particulièrement lourde notamment sur le lion, emblème du Saint, dans la partie inférieure du tableau . On note dans le désert la curieuse cavité-bibliothèque dans la roche. Le tout placé dans un cadre verdoyant où serpente un ruisseau qui délimité les différents plans. L’influence de la peinture flamande se révèle dans la représentation du feuillage des arbres.
Saint Jérôme avec un donateur– Vers 1450 –
Huile et tempera sur panneau
49x42cm
Exposé à Venise, Gallerie dell’Accademia
Noter la représentation d’une ville au second plan qui pourrait être Borgo.
La Légende de la Vraie Croix
Sur une commande de la famille des Bacci, Piero est chargé en 1452 de décorer les trois murs du choeur de l’église San Francesco à Arezzo.
Le thème est tiré de la « Légende dorée » écrit par Jacques de Varazze. Jacques de Voragine 1230-1300(…) était un fervent religieux de l’ordre de saint Dominique promu plus tard au siège de Gênes. La Légende dorée offre une explication merveilleuse des offices célébrés durant l’année ecclésiastique, la vie des saints y tient une très grande place. « L’invention de la Sainte Croix » donne une histoire épique du bois de la Croix : rameau de l’arbre du Bien et du Mal planté par Seth fils d’Adam à la mort de ce dernier, l’arbre est devenu si vigoureux qu’il fut utilisé par le roi Salomon pour la construction du Temple. Puis ce bois précieux « resta caché sous la terre deux cent ans et plus mais fut découvert par Hélène, mère de l’empereur Constantin » a qui il fit gagner une bataille.
De cette épopée, Piero della Francesca tire une série de fresques qui constituent un jalon dans l’histoire de l’art et une oeuvre majeure du quatrocento. Le choix du thème s’explique d’une part par la célébrité de cette légende représentée sur différentes scènes et dans l’iconographie et d’autre part par des considérations politiques. La légende a connu un très grand succès lors des croisades ; elle bénéficie d’un regain en ce milieu du XVè siècle en mettant en avant le rôle des franciscains lesquels président au contrat confié à Piero puisqu’il s’agit de leur principale église. Le procédé narratif est assez troublant avec une disposition inhabituelle de l’ordre des panneaux par rapport à ce type de cycles picturaux.
Registre central à droite : Rencontre de la Reine de Saba et du roi Salomon.
La fresque comporte deux scènes principales : La reine de Saba qui est venue consulter le roi Salomon s’agenouille au passage du pont de Siloé dans la poutre duquel elle a reconu le bois sacré. A droite à l’intérieur du palais, le Roi serre la main de la Reine qui s’incline. L’architecture du palais est dessiné avec minutie. Les colonnes corinthiennes délimitent les deux parties de la fresque. On note la minutie du traitement des groupes féminins. Le carton de préparation de la fresque a été repris et retourné pour peindre le groupe de gauche puis le groupe de droite. On retouve les mêmes personnages à quelques détails près. Le modelé très fin des visages fait ressortir l’impassibilité apparente des personnages qui leur donne un aspect idéal et caractérise la peinture de Piero avec ce port sculptural souligné par l’élégance des drapés et le jeu des couleurs. Cette mise en scène rigoureuse sera reprise par le peintre dans d’autres oeuvres.
Découverte par Sainte Hélène (mère de Constantin) et preuve formelle de la Vraie Croix.
Deux scènes cohabitent sur ce panneau. A gauche, la croix est déterrée sur un fond qui représente la ville d’Arezzo. A droite, la scène est représentée sur un fond de façade architecturale en marbre. La croix déterrée est présentée à un défunt qui ressuscite preuve qu’il s’agit bien de la vraie croix. La profondeur est donnée par la disposition de la croix. A noter les visages impassibles d’une grande précision. Registre bas à Gauche.
La Bataille entre Héraclius et Khosro II ou Chosroès Parviz, roi de Perse sassanide, qui mit le siège devant Chalcédoine et menace directement Constantinople. Mais en 627, l’empereur byzantin Héraclius écrasa les Sassanides à Ninive. D’apres la légende, l’empereur s’en retourne vers Jérusalem avec la sainte croix mais une puissance divine l’empêche de faire une entrée triomphale à Jérusalem. Héraclius, qui s’est dépouillé de tout ses fastes entre alors en ville portant la Croix dans un geste d’humilité, en souvenir de Jésus-Christ. Il s’agit probablement du dernier épisode réalisé dont une grande partie serait due à un ou des collaborateurs. Cette scène de bataille est une composition originale pour Pierro della Francesca dans la mesure où l’on y voir une foule de personnages vêtus à la fois de costumes supposés d’époque et de costumes contemporains. Le détail du clairon jouant impassible au milieu de la bataille porte la marque du maître. A droite sous un dais, le fauteuil vide de Chrosoès vaincu que l’on voit à genoux humilié au bas de l’estrade. Annonciation (face)
Dans cette « Annonciation », le classicisme d’Alberti est évoqué par l’élégante colonne qui se trouve au centre de la composition et fait pendant au personnage sculptural de Marie représentée comme une jeune matrone solennelle. Nombreux sont les éléments d’une nouvelle culture qui annoncent les œuvres de maturité de l’artiste, du voile transparent qui couvre la tête de Marie, aux perles de ses vêtements, aux marqueteries de bois de la porte et aux ombres qui frôlent la blancheur des marbres. Voir le site Aparences – Piero della Francesca : Histoire d’une synthèse
Oeuvres pour Sigismond Malatesta Tout en poursuivant avec son équipe la réalisation des fresques d’Arezzo, Piero della Francesca répond à des commandes des cours d’Italie centrale. Beaucoup de ces oeuvres ont aujourd’hui disparu. Sigismond Malatesta (1417-1468) est seigneur de Rimini. C’est un condottière. Ces mercenaires mettaient leurs armées privées au service des principaux états en concurence dans l’Italie centrale. Malatesta n’en est pas moins un érudit et un mécène. Il fait ériger par Leon Battista Alberti (1404-1472),sur l’emplacement d’une église du XIIè siècle, le tempio Malatestiano de Rimini destiné à devenir le mausolée de sa dynastie.
Fresque du « Loup de Rimini »
On trouve dans ce temple une fresque de Piero della Francesca représentant le commanditaire à genoux devant son Saint Patron.
C’est sur ce chantier de Rimini que Piero a rencontré Alberti et l’influence de ce théoricien de la peinture et de l’architecture se fait sentir dans cette composition qui s’inscrit dans un encadrement architectonique.
Malatesta s’y trouve en position centrale, d’avantage mis en valeur que le Saint. Son château est figuré dans un médaillon. Les deux lévriers peints derrière lui sont représentés avec beaucoup d’élégance.
La construction est très structurée, très efficace avec la profondeur donnée par le dessin du dallage et organisée par les deux colonnes.
Portrait de Sigismond Malatesta
Vers 1451 – 44×34 cm – Musée du Louvre Cette oeuvre constitue une étape dans l’histoire du portrait. Sur un fond dépouillé – le profil est celui d’une médaille gravée par Pisanello – le portrait très sculptural à la façon habituelle de Piero, est néanmoins naturel, il ne s’agit pas d’une représentation idéalisée comme c’était l’usage jusque là.
Madonna del Parto
ou Vierge de l’enfantement 260 cm par 203 cm.
Aux alentours de 1465-67, sur le mur d’un petit sanctuaire champêtre de Toscane près de Monterchi, ville natale de la mère du peintre, Piero della Francesca peint à tempera la Vierge de beit-lehem (Maison du pain) selon les récits de Luc et Matthieu. Conformément aux textes, la représentation de Piero retient l’imminence de cette naissance.
» L’audace, l’assurance, l’absolue sérénité qui marquent cette interprétation picturale du motif narratif de Luc sont sans équivalent dans les arts de la Chrétienté. » (Claude Macherel – Madonna del Parto, par Piero della Francesca : une saisie ethnographique )
Cette image magnifique au visage impassible, à l’ample vètement ouvert est bien connue jusqu’au XVIIIè siècle et mentionnée dans les textes officiels lors des visites des évêques.
Elle est ensuite oubliée et recouverte lors de travaux. Ce n’est qu’en 1889 que l’œuvre fut redécouverte accidentellement.
Les grands retables
Piero della Francesca est l’auteur de superbes grands retables, souvent disloqués aujourd’hui et dont les fragments sont conservés dans des collections du monde entier.
Polyptyque de la Miséricorde 1445-1462 330 cm, 273 cm Pinacoteca Comunale, Sansepolcro Polyptyque de St Augustin. Le 4 octobre 1454, Piero s’engage à exécuter le Polyptyque pour le maître-autel de l’église S. Agostino à Borgo San Sepolcro sur une commande des moines et donnateurs de l’église. Il ne le terminera qu’en 1470. Des fragments sont aujourd’hui divisés entre plusieurs collections. La partie centrale, une Vierge probablement, n’a pas été retrouvée. La partie gauche représente St Augustin tres expressif. Le traitement des vêtements est très travaillé. 132 x 57 cm Musée National. Lisbonne. Polyptyque de St Antoine vers 1470 338 x 230 cm Non démembré, il est conservé à la Gallerie Nationale de L’Ombrie à Perouge. La partie centrale représente une vierge en majesté avec beaucoup de grâce et de légerté. Le voile qui lui couvre la tête est peint avec finesse et se reflète dans l’auréole d’or. Les saints représentés dans les panneaux latéraux sont libérés des niches du décors qui leurs sont assignées ce qui donne plus de fluidité à la représentation. Dans la prédelle les miracles accomplis par ces saints sont évoqués. La lunette présente une annonciation exceptionnelle notamment par le traitement de la perspective du cloître dans lequel la scène se déroule.
La Résurrection du Christ
Fresque et tempera 225×200. Borgo San Sépolcro, Museo Civico. Pour Vasari « la meilleure de ses oeuvres ». Cette résurestion modifie totalement l’iconographie habituelle de ce sujet. On n’y voit pas les « saintes femmes » et l’ange évoqués par les évangiles. Par contre, parmi les soldats endormis, on y voir un homme qui se dresse conquérant, tenant fièrement sa bannière, le pied fermement posé sur le rebord du tabernacle, il affirme sa présence au monde. Le visage est saisissant, avec une grande présence dans le regard. Le corps blanc vêtu d’une ample étoffe, se détache sur un paysage coloré. Le traitement des étoffes et des couleurs est toujours somptueux.
La Flagellation du Christ. Tempera et huile sur panneau 58,4X81,5 Datation de cette œuvre incertaine. On pense généralement à la période de Piero à Urbino soit 1455-60. par contre l’attribution est incontestable du fait d’une inscription sur la première marche :
OPUS PETRI DE BVRGO SCÎ SEPUVLCRI
L’Oeuvre est rentrée dans les collections du palais ducal d’Urbino en 1916. Construction extrêmement rigoureuse soulignée par le carrelage au sol et les éléments d’architecture avec des caissons très soignés. Le tableau comporte deux parties bien distinctes séparées par une colonne :
- A droite un groupe de trois personnages qui semble surajouté au tableau. Ils sont représentés de façon très minutieuse avec beaucoup de détails : turbans ceintures, étoffe de brocard ; pourtant leurs regards ne se croisent pas et il ne semble pas q’uils soient en conversation.
- A gauche la flagellation du christ qui est attaché à une colonne surmontée d’une statue païenne. La scène se déroule sous les yeux d’un personnage assis qui pourrait être Ponce-Pilate, le personnage représenté de dos serait Hérode.
Ce tableau énigmatique a donné lieu à plusieurs interprétations notamment pour la scène de droite. Les spécialistes ont envisagé trois séries d’explications :
- On a cru reconnaitre dans ces personnages divers contemporains du peintre et notamment des membres de la famille da Montefeltro. L’oeuvre aurait été commandé pour commémorer la mort d’un membre de la famille assassiné en 1444 avec deux conseillers également présents sur le tableau.
- D’autres y ont vu des représentation symboliques de scènes de la passion.
- Le tableau ferait référence au concile de Mantoue de 1459, où le pape Pie II avait prêché la croisade contre les Turcs pour la reconquête de Constantinople.
Cette dernière interprétation est actuellement la plus volontiers retenue. En toutes hypothèses, il s’agit de mettre en relation la souffrance du Christ flagellé avec une souffrance contemporaine du peintre qu’il s’agisse d’une souffrance privée ou de la souffrance de l’Église. La scène actuelle est mise en avant alors que la scène historique de référence est repoussée plus loin dans l’espace du tableau comme dans le temps. La couleur contribue également à dissocier les deux scènes. Les vêtements des trois hommes de droites présentent des couleurs vives et même de riches motifs pour celui le plus à droite. La scène de gauche est figurée avec des tons plus fondus malgré le drapé particulièrement travaillé de celui qui pourrait être Herode. A bien des égards, ce tableau est un chef-d’œuvre absolu.
Sources :
- Anne-Sophie Molinié, maitre de conférences (Cours Sorbonne – UIA 2012-13)
- Alessandro Angelini in Les Protagonistes de l’Art Italien- Piero dela Francesca (SCALA, Florence)
- Voir le site dédié à Piero della Francesca. Parmi bien d’autres.
- Reproduction : Web art Gallery, Wikipedia, notamment.